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LA CHANSON DE ROLAND

737 Tresvait la noit e apert la clere albe...
Par mi cel host (sonent menut cil graïsle).
Li emperere mult fierement chevalchet.
740 «Seignurs barons», dist il emperere Carles,
«Veez les porz e les destreiz passages :
Kar me jugez ki ert en la rereguarde
Guenes respunt : «Rollant, cist miens fillastre :
N'avez baron de si grant vasselage.»
745 Quant l'or li reis, fierement le reguardet,
Si li ad dit : «Vos estes vifs diables.
El cors vos est entree mortel rage.
E ki serat devant mei en l'ansguarde?»
Guenes respunt : «Oger de Denemarche :
750 N'avez barun ki mielz de lui la facet.»

Li quens Rollant, quant il s'oït juger,
Dunc ad parled a lei de chevaler :
«Sire parastre, mult vos dei aveir cher :
La rereguarde avez sur mei jugiet!
755 N'i perdrat Carles, li reis ki France tient,
Men escientre palefreid ne destrer,
Ne mul ne mule que deiet chevalcher,
Ne n'i perdrat ne runcin ne sumer
Que as espees ne seit inz eslegiet.»
760 Guenes respunt : «Veir dites, jol sai bien.»

Quant ot Rollant qu'il ert en la rereguarde
Ireement parlat a sun parastre.
«Ahi! culvert, malvais hom de put aire,
Quias le guant me caïst en la place,
765 Cume fist a tei le bastun devant Carles?»

«Dreiz emperere», dist Rollant le barun,
«Dunez mei l'arc que vos tenez el poign.
Men escientre nel me reproverunt
Que il me chedet cum fist a Guenelun
770 De sa main destre, quant reçut le bastun
Si duist sa barbe e detoerst sun gernun,
Ne poet muer que des oilz ne plurt.

Anpres iço i est Neimes venud,
Meillor vassal n'out en la curt de lui,
E dist al rei : «Ben l'avez entendut;
Li quens Rollant, il est mult irascut.
La rereguarde est jugee sur lui :
N'avez baron ki jamais la remut.
780 Dunez li l'arc que vos avez tendut,
Si li truvez ki très bien li aiut!»
Li reis li dunet e Rollant l'a reçut.

Référence. La Chanson de Roland, texte cité dans Auerbach 1968, p. 106-107 (version en français moderne p. 107).

Explication. Parataxe syntaxique et narrative.
1) Parataxe syntaxique.
v. 737-9. Trois propositions principales juxtaposées. Tout le texte (à l'exception du vers 745, où l'on a une courte hypotaxe temporelle) est formulé en propositions indépendantes qui se suivent comme des blocs.
v. 741-2. Non expression de la conséquence (qui serait : «Comme nous devons passer..., nommez-moi...»). Deux propositions principales, l'une indicative («Veez les porz e les destreiz passages», l'autre impérative («Kar me jugez...»).
2) Parataxe narrative.
Indépendance des épisodes, repris et présentés d'un autre point de vue (cf. Robbe-Grillet). Cette indépendance est soulignée par la reprise de la nomination des sujets parlants (ex. : vers 739-40). Absence de pronom anaphorique.
Reprise : «Li quens Rollant, quant il s'oït juger» + proposition principale est repris par «Quant ot Rollant qu'il ert en la rereguarde» + principale. Les deux répliques de Roland s'adressent à Ganelon à l'aide de formules d'introduction analogues : reprise de la même situation. Même point de départ et variation sur action. Retour répété au point de départ.
Procédé de retardement grâce auquel un auditeur arrivé en cours de récitation reçoit un texte cohérent. Procédé lié à l'oralité. Le besoin d'établir des liaisons est faible, mais la performance du trouveur, sa capacité de réinventer à partir du même début doit impressionner l'auditeur.
On a la mention pure de ce qui se produit. Indépendance des événements et de leurs parties. Procédé absent : analyse ou explication des événements. La compréhension rationnelle n'est pas ce qui intéresse les auditeurs. Les relations causales, modales et temporelles sont estompées.
(Auerbach, p. 114 ; la répétition variée du même thème est une technique qui provient de la poésie latine du moyen âge, laquelle l'avait empruntée à la rhétorique antique. Voir Curtius.)
3) Ethopée en actes. Le portrait de Roland.
L'on ne connaît le personnage que par ce qu'il dit et fait : éthopée en actes.
v. 756-8. Enumération par Roland des bêtes qu'il n'abandonnera pas sans combattre. Manifestation violente de son courage.
Rem. Les trois déclarations de Roland ne constituent pas des périodes. Elles n'ont pas de continu discursif.

Ingrédients

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  <*>  alexandrin Se généralise au XIIIe siècle; césure médiane,   <*>  assonance,   <*>  attitude symbolique,   <*>  attitude typique,   <*>  décor,   <*>  émulation,   <*>  énumération Ex. : Charroi de Nîmes, laisses 26-28;,   <*>  épanalepse Sert à lier les laisses. Ex. : Guillaume, laisses 31-32.,   <*>  épithète de nature,   <*>  esprit de corps,   <*>  éthopée Le personnage est construit par les actes qu'il effectue et les paroles qu'il prononce.,   <*>  idiosyncrasie,   <*>  laisse,   <*>  motif narratif Ex. : rassemblement du conseil du seigneur, préparatifs du combat, affrontement entre deux champions, mêlées, rêves prémonitoires, jalousie d'un personnage, meurtre déclenchant une guerre.,   <*>  parataxe Dans les scènes de combat surtout.,   <*>  personnage typé,   <*>  rime À la fin du XIIe siècle.

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