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LA CONVERSATION

Informations.
  1. Temps et lieux.
  2. Auteurs et oeuvres.
  3. Définition et fonction dans la société.
  4. Origines et postérité.
  5. Bibliographie.
Extraits. Conversation entre amis.
Conversation quotidienne.
Procédés typiques. Ingrédients.

1. Temps et lieux.

Début. Civilisations pré-scripturales.
Fin. Encore vivant.
Lieux. Toutes les sociétés (avec ou sans écriture).

2. Auteurs et oeuvres.

Corpus illimité. La conversation est la seule activité langagière qui soit pratiquée par tous les individus en âge de parler et même s'ils souffrent de troubles du langage: il y a des langages de signes.

3. Définition et fonction dans la société.

Texte oral produit par plusieurs personnes se trouvant en rapport d'interaction, dont l'unité minimale se compose d'une paire de répliques produites par deux locuteurs différents.

La conversation s'oppose aux autres formes d'interaction (entretien, débat, colloque, pourparlers, conciliabule, etc.) par son caractère familier, improvisé et gratuit: aucune de ses composantes n'est fixée à l'avance -- nombre des participants (variable d'une conversation à l'autre et même au cours d'une même conversation, ce nombre devant toutefois rester relativement réduit), thèmes traités (également variables, et prêtant à la digression: une conversation se fait "à bâtons rompus"), durée de l'échange et des différentes répliques, alternance des tours de parole, -- et elle n'a pas d'autre finalité que sa propre pratique, elle est coupée de tout but instrumental. Sa principale motivation est le plaisir.

Comme toutes les pratiques communicatives cependant, elle se déroule selon certains schémas préétablis et obéit à des règles de procédure dont les interlocuteurs partagent la connaissance (souvent purement intuitive) et qui créent pour eux un sytème de droits et de devoirs. La transgression répétitive de ces règles peut saborder la conversation. Grice (1979) fait dépendre ces "maximes conversationnelles" (ce sont les "lois du discours" de Ducrot) d'une sorte de méta-principe, le principe de coopération: "que votre contribution conversationnelle corresponde à ce qui est exigé de vous, au stade atteint par celle-ci, par le but ou la direction acceptée de l'échange parlé dans lequel vous êtes engagé". Ces maximes sont au nombre de quatre: la maxime de quantité ("que votre contribution contienne autant d'information qu'il est requis"; "que votre contribution ne contienne pas plus d'information qu'il n'est requis"), la maxime de qualité ("que votre contribution soit véridique: n'affirmez pas ce que vous croyez être faux; n'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves"), la maxime de relation ("parlez à propos") et celle de modalité ("soyez clair: évitez de vous exprimer avec obscurité; évitez d'être ambigu; soyez bref, ne soyez pas plus prolixe qu'il n'est nécessaire; soyez méthodique". Grice, 1979, p. 61-62).

A ces principes discursifs généraux s'ajoutent des lois de discours plus spécifiques, concernant les comportements sociaux et relevant d'une sorte de code des convenances: "il y a aussi bien sûr toutes sortes d'autres règles (esthétiques, sociales ou morales du genre: soyez poli), que les participants observent normalement dans les échanges parlés" (Grice, 1979, p. 62). Ces règles de politesse s'articulent sur la "théorie des faces", selon laquelle tout individu, dans l'interaction conversationnelle, tient avant tout à sauver ses "faces" ("face négative" = besoin de défendre le territoire de son moi; "face positive" = besoin d'être reconnu et apprécié par autrui. Kerbrat-Orecchioni, 1986, p. 229 sq.), la transgression des règles constituant une menace pour l'une et/ou l'autre des faces de l'interlocuteur. Le comportement des interlocuteurs face à ces règles définit le ton de leur interaction: le dialogue est à tendance irénique dans le cas de non transgression, de ménagement des faces de l'interlocuteur, à tendance agonale dans le cas contraire (voir C 2.2.1. et 2.2.2.). Leur comportement opère leur "mise en places" (Kerbrat-Orecchioni, 1987, p. 319-352) dans l'interaction.

Les lois de discours interviennent encore dans le processus interprétatif des interlocuteurs, essentiellement pour l'identification des contenus implicites (sous-entendus, valeurs illocutoires dérivées, tropes communicationnels, etc.). Grice a explicité le mécanisme de genèse des "implicitations conversationnelles" qu'on peut résumer de la façon suivante: "L a dit P. L est présumé observer les règles. Or dire P constitue une transgression d'une des règles. Mais si L pense Q, alors il a pu à la fois observer les règles et dire P. L sait que l'allocutaire est capable de ce raisonnement. Donc il a voulu communiquer indirectement Q. Il a implicité Q". Les contenus implicites jouent un rôle décisif dans l'établissement de la cohérence textuelle lors d'échanges dialogaux: c'est souvent sur la base d'un contenu implicite que s'effectue l'enchaînement d'une réplique à l'autre, celle de L2 venant réfuter, contester, ou simplement commenter un présupposé ou un sous-entendu contenu dans l'énoncé précédent de L1. Certaines conversations, certains échanges mondains, où l'esprit se confond avec la virtuosité dans l'art de jongler avec les sous-entendus, se déroulent même essentiellement sur ce mode. Exemple: MONIQUE --- D'or nocturne et de sel je règne cuirassée... HOMME --- Nous pigeons. Basta! (Il a compris qu'elle se livrait à son imagination, qu'elle "glapionnait") Audiberti, l'Effet Glapion, Acte I.

Fonction sociale de la conversation.
La conversation constitue un tissu langagier grâce auquel les membres d'une communauté non seulement communiquent quotidiennement, mais encore assurent leur appartenance au groupe. La conversation a une fonction intégrative, elle assure la cohésion entre les membres d'un groupe, mais aussi une fonction différenciative, elle manifeste par son absence l'exclusion de ceux qui n'appartiennent pas au groupe. Par la conversation, l'individu construit sa face sociale, mesure son insertion dans la société.

Elle peut enfin avoir une fonction d'exutoire pour l'émotivité et l'agressivité.

4. Origines et postérité.

Origines.
- Les origines de la conversation. Elles remontent à la communication langagière, donc à la préhistoire.
- Les origines de l'art de la conversation (origines des "maximes conversationnelles" et des règles de politesse). Les théories de la politesse (littérature sur l'étiquette et les manières qui se met à proliférer en Europe à partir du XVIe siècle et surtout en Europe du sud):
1) Baldassare Castiglione (1478-1529), le Courtisan (1528): dialogues qui évoquent en quatre livres des conversations censées se passer en 1506 à la cour raffinée d'Urbin et qui ont pour but de faire le portrait du parfait courtisan. Les solutions préconisées visent à former l'homme "distingué": grave, mesuré, capable de s'adapter, aimable, désinvolte et distinct du "vulgaire";
2) Giovanni Della Casa (1503-1566), le Galeteo (1558). Il s'agit de recettes de bon comportement pour l'homme distingué qui cherche le moyen de se distinguer. L'ouvrage servit de prototype aux traités de savoir-vivre publiés par la suite en Europe, au point que le terme de "galatée" se mit à désigner les ouvrages de ce type, et même les règles de la civilité;
3) Erasme, la Civilité puérile (1530). Succès prodigieux en Europe du nord. Traduit, adapté et plagié jusqu'au début du XIXe siècle;
4) Stefano Guazzo, la Civil Conversatione (1574);
5) Guez de Balzac (1597-1654), dans un discours adressé à Mme de Rambouillet, propose comme exemple la "civilité", la "galanterie" et la "politesse" de la "conversation des Romains".
Ces auteurs définissent et codifient la conversation: ce sont les propos que l'on échange "hors des affaires", non dans les conseils des princes, mais dans l'assemblée oisive des dames et des jeunes seigneurs, dans les salons. Le langage de la conversation est éloigné de la fadeur et de la grossièreté, du pédantisme et de la satire. C'est de la "conversation de salon".
- Le XVIIIe siècle atténue l'aspect sérieux de la conversation et en fait un exercice tourné vers la plaisanterie et l'aspect spectaculaire. Il s'agit de faire trait de tout (Marmontel, Chamfort, Rivarol). Le sujet a été porté à l'écran sous le titre de Ridicule.
- C'est contre cette conversation française et son fondement de vanité que Mme de Staël (De l'Allemagne, I) puis Stendhal chercheront à définir un style nouveau, plus naturel.

Postérité.
- La prose écrite. L'éloquence mondaine définie par Castiglione et Della Casa est le modèle de la prose écrite classique. Les lois du discours littéraire ne s'écartent pas de celles de la conversation. L'art du dire est commun à la littérature et à la vie mondaine. L'exigence de ne pas être un "fâcheux" ou un "pédant" vaut pour les auteurs comme pour les honnêtes gens. Le texte précieux ne sort pas de l'espace du salon; ses allusions, ses énigmes, ses jeux de mots sont autant de signes de connivence pour un cercle d'habitués; loin de s'écarter de la conversation mondaine, il la prolonge et la suscite. Esthétique datée: le romantisme séparera l'oeuvre littéraire de la conversation, voire les opposera. L'"hermétisme" de Mallarmé est l'aboutissement de cette tendance. L'échange verbal usuel sert alors de repoussoir à la littérature.
- Le dialogue comme échange de propos fabriqués. Les dialogues du roman classique tendent vers le monologue. Ils sont constitués de longues tirades à la première personne. L'on retrouve cette tendance à monologuer au XIXe siècle (ex.: Adolphe, Vautrin). Les dialogues sont calqués sur les discours oratoires du barreau et de la chaire et sur les grands numéros d'acteurs (au théâtre et à l'opéra). C'est chez Stendhal que le dialogue se fait vif, entrecoupé, fugitif: il subit l'influence du vaudeville et du drame moderne, qui tentent d'épouser au plus près les conversations, les altercations de la vie réelle (cf. les drames de Scribe, 1791-1861). Au XXe siècle, Martin du Gard (1881-1958) présente ses dialogues, dans Jean Barois (1913), comme des dialogues de théâtre, avec annonce des locuteurs et disparition des intervalles narratifs. Le nouveau roman doit davantage au monologue intérieur, fait un effort pour briser le dialogue romanesque traditionnel, pour lui inséparable du scientisme didactique du XIXe siècle. Depuis Sarraute et Beckett sont apparus en outre la "sous-conversation" et la "parlerie".
- Le dialogue comme genre littéraire. Ouvrage qui prend la forme d'une conversation. Le dialogue s'attache généralement à des thèses philosophiques, morales et politiques et prend souvent une allure didactique. Il met à contribution l'interlocution, qui permet les jeux de l'ironie et l'habileté dialectique. Auteurs et oeuvres: Sophron de Syracuse (en -430); Platon (428-347); Lucien, le Dialogue des morts (IIe siècle avant J.-C.); Lucien de Samosate, Dialogues des Dieux (IIe siècle); Pierre Abélard, Dialogus inter Philosophum (1145); Nicolas de Cues, De Pace fidei (1453); Erasme (1467-1536), les Colloques; Machiavel (1469-1527), l'Art de la guerre; Fontenelle, Dialogues des morts (1683); Fénelon, Dialogues des morts (1700-1730); Berkeley, Dialogues entre Hylas et Philonous (1713); Diderot (1713- 1784), le Neveu de Rameau; Rousseau, Dialogues (1773); Walter Savage Landor (1775-1864), Conversations imaginaires (1824- 1853); Valéry (1871-1945), l'Ame ou la Danse; Claudel, Conversations dans le Loir-et-Cher (1935); Bernanos, Dialogues des Carmélites (1949).

4.4 Le dialogue écrit en direct, à distance, par Internet. Au lieu d'échanger des messages, les participants disposent d'un même écran sur lequel chacun peut intervenir par un mot-phrase, voire une simple retouche, ou en ajoutant un commentaire, à son tour repris et amendé.

5. Bibliographie.

ANDRÉ-LAROCHEBOUVY, Danielle, la Conversation quotidienne. Introduction à l'analyse sémio- linguistique de la conversation, Didier, Crédif, 1984.
GRICE, H. Paul, Logique et conversation, in Communications, 30, 1979, p.57-72.
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, l'Implicite, Armand Colin, 1986 (surtout p.196-252 pour les lois du discours et la théorie des faces).
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine et alii, Décrire la conversation, PUL, 1987 (surtout Kerbrat-Orecchioni, "la Mise en places", p.319-352).
KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, les Interactions verbales, Armand Colin, 1992, 3 vol.
Numéro spécial de revue: Communications, 30, la Conversation, Le Seuil, 1979.

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