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LES GENRES HUMORISTIQUES:
TRAIT D'ESPRIT, JEU DE MOT, PLAISANTERIE, ETC.

Informations.
  1. Temps et lieux.
  2. Auteurs et oeuvres.
  3. Définition et fonction dans la société.
  4. Origines et postérité.
  5. Bibliographie.
Extraits. Art et figures de l'esprit.
L'Homme de fer.
Un certain plume.
Procédés typiques. Ingrédients.

1. Temps et lieux.

Début. Groupes primitifs.
Fin. Encore vivant.
Lieux. Étant, après le bon sens, la chose la mieux partagée du monde, l'humour fait rarement défaut en quelque lieu que ce soit (mais pas à tout moment). Les sociétés austères sont encore celles où il est le plus florissant (humour anglais, humour juif), par réaction.

2. Auteurs et oeuvres.

Il a de l'humour au sens large dans beaucoup d'oeuvres mais il y a tout de même des auteurs qui se sont distingués par leur écriture délibérément humoristique.
François Rabelais (1494-1553), Pantagruel.
Jonathan Swift (1667-1745, Irlandais), les Voyages de Gulliver.
Voltaire (1694-1778), Candide.
Henry Fielding (1707-1754, Anglais), Tom Pouce.
Laurence Sterne (1713-1768, Anglais), Vie et opinions de Tristram Shandy.
Charles Dickens (1812-1870, Anglais), Les Aventures de Mr. Pickwick.
Mark Twain (1835-1910, Américain), Les Aventures de Tom Sawyer.
Oscar Wilde (1854-1900, Anglais), Quelques maximes pour l'instruction des gens trop cultivés.
Alphonse Allais (1854-1905), On n'est pas des boeufs, recueil d'histoires drôles.
Bernard Shaw (1850-1950, Irlandais), l'Argent n'a pas d'odeur, pièce de théâtre.
O. Henry (1862-1910, Américain), Des choux et des rois, recueil de nouvelles.
Tristan Bernard (1866-1947), L'Anglais tel qu'on le parle, pièce de théâtre.
Alfred Jarry (1873-1907), Ubu roi.
Chesterton (1874-1936, Anglais), Le Napoléon de Notting Hill, récit.
Sacha Guitry (1885-1957), Le Mot de Cambronne.
James Thurber (1894-1961, Américain), A-t-on besoin des femmes?, recueil de contes.
Henri Michaux (1899-1984), Plume.
Raymond Queneau (1903-1976), Zazie dans le métro.
Pierre Daninos (1913), Les Carnets du major Thompson, récit.
Frédéric Dard, alias San-Antonio (1921).
Raymond Devos (1922), Matière à rire, recueil d'histoires drôles.
Voir aussi le dossier "comédie" et les anthologies de traits d'esprit et de jeux de mots (ex.:Des mots et merveilles, Lettres en folie, cf. 7), d'histoires drôles (ex.:Tout l'humour du monde, cf.7).

3. Définition et fonction dans la société.

On peut distinguer des niveaux: humour grossier (Rabelais), populaire (Yvon Deschamps: un can opener que c'est tellement commode d'avoir quand tout ce qu'y a à manger, c'est toujours dans des cans), familier (la peur des piqûres, ça peut-il se guérir par l'acupuncture?), fin (Valéry: la bêtise n'est pas mon fort), snob (Le mendiant: Merci. Marie-Chantal: Merci qui?)... On peut distinguer un jeu sur la langue: jeux de mots (Je me heurte à mon facteur. Il me dit: Vous courriez?), calembour, contrepèterie; un jeu sur le sens: bon mot (.....), trait d'esprit, concetti (voir le premier extrait); et un jeu sur la réalité: histoire drôle (souvent sur les caractères nationaux), comique de situation (dans le théâtre de boulevard), les mots d'enfants (ce n'est pas la peine que j'apprenne à lire puisque je saurai quand je serai grand), l'humour involontaire (Zola: elle avait mangé sa soupe sérieusement, sans ouvrir les lèvres), la raillerie (Boileau: J'ai vu l'Agésilas / Hélas), l'auto-ironie (Desproges: Vous vous êtes regardés? Vous m'avez vu dans la glace?), l'humour noir (Céline: Maman elle, se revomit complètement... Il lui est remonté une carotte... un morceau de gras... et la queue entière d'un rouget...), l'humour pataphysique (Jarry: les omnibus se reproduisent par correspondance), le grand-guignol (Michaux: Ne te tracasse pas pour l'avenir. J'ai encore neuf doigts et puis ton caractère peut changer), le limerick (Il était...un monsieur...à Athènes, etc.) Le nonsense (Satie: Plus de cheveux courts: arrachez-les).

Ces modalités, si variées, ont certains traits en commun, qu'on appellera avec Bergson "de la mécanique plaquée sur du vivant", ou qu'on définira comme jeu voire comme distorsion dans les structures du réel ou du langage ou de leur fonctionnement. Jeu avec le langage, jeu avec la logique, jeu avec les attentes du lecteur. L'écrivain humoristique se sert des ressources inépuisables du monde et du langage (ex.: la polysémie) et y souligne des lacunes ou y introduit de la subversion (Sa Majesté la ruine d'Angleterre). Ses jeux, en créant une ambiguïté, une hésitation, voire un non-sens (humour absurde), refusent l'univocité et l'intelligibilité des institutions et des usages. Il s'en prend aux significations obvies, il parvient à faire signifier autre chose aux mots, à faire fonctionner autrement la grammaire (il était une fois un rein et une reine), détournant ainsi le langage de ses fonctions premières de construction de sens (celui-ci devient incertain, instable) et de communication (celle-ci se trouve compromise momentanément par le choc inattendu du jeu de mot, de la plaisanterie ou du trait d'esprit). Ils provoquent une rupture dans l'enchaînement logique des mots et des situations (effet de surprise: essentiel, sinon il n'y a ni rire ni sourire). Ils ébranlent les édifices des concepts, notions, idées en révélant les failles du code où ils sont érigés. Ils peuvent rabaisser les prétentions du langage et de la logique en cédant à la gratuité, à la sottise, à la vulgarité (ex.: les calembours, les contrepèteries, les plaisanteries grivoises). Ils opèrent une mise à distance et une mise en question de l'ordre, des valeurs admises, de la cohérence des discours et des comportements. Dans cette distance, après avoir dans un premier temps défait, dénoué les rapports établis entre les choses par l'usage, les jeux de l'humour créent, nouent finalement de nouveaux rapports, des liens inédits.

En contestant le langage, c'est au fond les valeurs des institutions auxquelles il sert de véhicule que contestent les types d'humour. Le jeu de mots, par exemple, pervertit les locutions traditionnelles. L'humour peut donc avoir une fonction sociale importante et devenir une arme redoutable contre les préjugés, les interdits et les tabous (l'humour à la fois lutte contre le sacré et se nourrit de lui); cette arme est d'autant plus efficace qu'elle prend une apparence anodine. L'humour n'a jamais fleuri autant que dans des contextes où l'ordre et le sérieux s'imposaient. Par exemple, à la Belle Époque, la société était dominée par la classe bourgeoise; en réaction à cette domination, des auteurs comme Alphonse Allais et Alfred Jarry multiplient les attaques subtiles. L'effet est de ridiculiser et remettre en question le «bon goût» et les usages. Déjà Diogène le cynique, dans la Grèce antique, contestait par des traits d'esprit (et par un comportement extravagant) les valeurs de son temps. Le conquérant Alexandre lui offre l'occasion de lui demander quelque chose: Ôte-toi de mon soleil s'entend-il répondre. L'humoriste (au sens large) se trouve décalé, il prend ses distances par rapport à la société. Le moindre jeu sur les mots signale, par un écart, qu'il surgisse dans le cadre littéraire ou dans une conversation banale, une remise en question capable d'inquiéter.

Depuis le début du XXe siècle (à partir de Jarry), l'humour s'est radicalisé chez certains auteurs: il n'est plus simple contestation de la société, mais refus global, destruction de tout, y compris de l'individu. L'humour devient absurde, mène au non-sens. Il devient également dramatique: c'est ce qu'on a appelé l'humour noir, que les surréalistes ont beaucoup pratiqué (ex.: Henri Michaux et, au Québec, Roland Giguère, cf. texte qui s'intitule «Miror» dans le recueil La Main au feu).

4. Origines et postérité.

Origines.
Le rire est sans doute né chez l'être humain (déjà chez le chimpanzé?) d'une prise de conscience de son existence, de sa marginalité, d'un soi-même (ipséité) dont le contenu a priori est le néant instantané de la conscience d'autre chose (mais sur le fond de ce néant peut s'inscrire n'importe quoi, jusqu'à l'infini). Il crée ce qu'il met en exergue par cette distance répercutée sur tout ce qui se montre à un être à soi. Les types d'humour ont commencé à se développer à partir du moment où un individu peut puiser dans sa distance au langage en-dehors de sa fonction première de communication. Il y a un lien à faire entre l'humour (ou l'ironie) et les récits mythiques. Ceux-ci se présentent souvent sous la forme de devinettes ou d'énigmes dont le caractère ludique annonce le trait d'esprit et les jeux de mots. Samson trouve du miel dans le squelette d'un lion: il déclare "le fort a produit le doux", sûr de ne pouvoir être compris. Le défi est lancé mais les frères de Déborah l'emporteront car elle leur a glissé la clé de l'énigme... "Si vous n'aviez labouré avec ma génisse..." grommelle Samson. Celer le référent, c'est bien démonter le langage figuré. Le rejet apparent du sens est création de nouveaux sens, liés à la situation mais plus encore à la personne même.
Le fou du roi est une institutionnalisation de cette liberté de dire, sous couleur de jeux, les vérités que les courtisans se seraient acharnés à voiler, comme la nudité du prince dans le conte d'Andersen.

Postérité.
Le trait d'esprit, le jeu de mot et la plaisanterie ne se manifestent pas seulement dans le discours que l'on pourrait appeler humoristique. On les retrouve à travers les siècles dans un grand nombre d'autres discours, comme le discours politique (cf. L'Orateur de Cicéron: «l'orateur portera souvent les esprits à l'enjouement ou au rire»), le discours journalistique et, d'une manière éclatante aujourd'hui, dans le discours publicitaire. Pour attirer l'attention du lecteur, du passant ou du téléspectateur sur un produit de consommation, les publicistes cherchent souvent à créer un effet de surprise. Les jeux avec les mots constituent un moyen privilégié pour obtenir cet effet. Exemple: dans une annonce faisant la promotion des vêtements NAF-NAF, on lit ceci: NAF-NAF. Le grand méchant look. L'humour, depuis quelques années, semble avoir contaminé presque tous les discours. Il est omniprésent dans les médias (par exemple, dans le journal Voir, les titres d'article comportent presque toujours un jeu de mot) où il sert à faciliter la communication en créant un rapport de familiarité, une complicité entre destinateurs et destinataires. Il a en outre pris d'assaut les salles de spectacles (avec les «stand up comics») et les émissions de divertissement à la télévision.

5. Bibliographie.

BECHTEL, Guy et Jean-Claude CARRIÈRE, Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement & le Livre des bizarres, Laffont, 1965 & 1991, 777p., bibliographie.
BENAYOUN, Robert, les Dingues du nonsense, de Lewis Carroll à Woody Allen, Le Seuil, 1986, 317p.
DANINOS, Pierre, Tout l'humour du monde, Paris, Hachette, 1958, 222p.
DUCHESNE, A. et Th. LEGUAY, Lettres en folie, dictionnaire de jeux avec les mots, Paris, Magnard, 1988, 287p.
DUVIGNAUD, Jean, le Propre de l'homme (histoires du comique et de la dérision), Paris, Hachette, 1985, 246p.
ELGOZY, Georges, De l'humour, Paris, Denoël, 1979, 268p.
FOURASTIÉ, Jean, le Rire, suite, Paris, Denoël, 1983, 263p.
GAGNIÈRE, Claude, Des mots et merveilles, Paris, Robert Laffont, 1994, 741p.
GUIRAUD, Pierre, les Jeux de mots, Paris, PUF, 1976, 124p.
ISSACHAROFF, Michael, Lieux comiques ou le temple de Janus, Paris, José Corti, 1990, 160p.
JEAN-CHARLES, Tous des cancres, Calmann-Lévy, 1971, 232p.
JOLLES, André, Formes simples, Le Trait d'esprit, Paris, Le Seuil, 1972 (pour la traduction).
KOHN, Max, Mot d'esprit, inconscient et événement, Paris, L'Harmattan, 1991, 183p.
TARD, Louis-Martin, Si vous saisissez l'astuce, Montréal, le Jour, 1968, 122p.
TODOROV, Tzvetan, les Genres du discours, Les jeux de mots, Paris, Le Seuil, 1978, p.294-310.
TODOROV, Tzvetan, Théories du symbole, La rhétorique de Freud, Paris, Le Seuil, 1977, p.285-321.
VAILLANT, Alain, le Rire, Paris, Quintette, 1991, 96p.
VEISSID, Jacques, le Comique, le rire et l'humour, Paris, Lettres du monde, 1978, 155p.
Humoresques, sémiotique et humour, articles Le cynisme du sensible au risible de Jacques Fontanille et Ironie et humour: le discours renversant de Denis Bertrand, Nice, no 4, 1993, p. 7-41.

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